«LE PATRIOTISME ECONOMIQUE DOIT PREVALOIR POUR L’EMERGENCE DU SENEGAL»
- Cheikh Tidiane MBENGUE | Publication 10/12/2015
- 28 déc. 2015
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AMADOU GAYE, PRESIDENT DE LA FEDERATION NATIONALE DES BOULANGERS DU SENEGAL

Après avoir reçu des honneurs dans un hôtel de la place lors d’une cérémonie de remise d’attestations de formation sur les nouvelles techniques fournières, le président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal (FNBS), Amadou Gaye a bien voulu répondre aux questions de Sud Quotidien.
Dans cet entretien exclusif, il revient sur la composition du pain, l’importance des céréales locales dans le pain quotidien et surtout l’impact de la boulangerie dans l’économie nationale. Monsieur Gaye a également mis l’accent sur l’importance de la formation des boulangers pour une meilleure professionnalisation de leur métier.
Bilan de la formation des boulangers du Sénégal
«C’est un bilan très satisfaisant dans la mesure où notre objectif est en passe d’être atteint. Le Sénégal souffre du manque de formation professionnelle et, en plus, le métier de la boulangerie n’est pas bien connu dans ce pays. Nous aimerions que les sénégalais sachent que c’est un métier noble pour lequel des milliers de personnes qui se sacrifient toutes les nuits, tous les jours pour donner du pain, et ce n’est pas facile. Dans d’autres pays, ce métier requiert plusieurs années de formation. Il faut faire le Cap, le BTS, la maîtrise pour une durée de 8 ans pour avoir le diplôme. J’ai toujours dit que le pain va toujours exister. Mais c’est nous les acteurs qui doivent changer. La fédération a pris les devants. L’objectif de la Fédération est de léguer à la génération future une variété de pains de qualité, un pain plus digeste, plus nutritif, et renfermant plus de vitamines et de protéines.
«On ne peut pas faire du pain à base céréale locale sans y mettre de la farine du blé»
Les céréales que nous consommons : le mil, le maïs et le niébé doivent être incorporés dans la fabrication du pain. C’est pourquoi, dans le cadre du projet de valorisation des céréales locales, nous fournissons aux sénégalais uniquement du pain à base de farine de mil, de maïs, sorgho... Mais durant la formation avec le Pr Hendryk Deschacht de la Belgique, nous avons expérimenté l’incorporation du riz entier dans la panification sans le transformer en farine. Idem pour les brisures de maïs et c’est excellent. Il nous a appris des techniques de panification qui permettent de changer fondamentalement le goût. Toutefois, il est très difficile de changer les habitudes de consommation des sénégalais. Cette formation a permis de former des collègues boulangers qui ont pris l’engagement d’aller reformer d’autres boulangers dans les régions.»
«Toujours le slogan consommer local, mais sans aller plus loin»
«Nous voulons que le concept du «consommer local» soit une réalité. Mais à notre avis, c’est une réalité qui n’emporte pas l’agrément les autorités de par leurs actes sur le terrain. Elles utilisent toujours le slogan «consommer local», mais sans aller plus loin. Nous avons proposé depuis des années l’application des décrets et lois régissant la boulangerie. Par exemple, le Sénégal est fin prêt pour l’application du décret 79-665 bis qui rend obligatoire l’incorporation de 20 % de nos céréales locales au pain à base de mil. Parce qu’on a pu créer une chaine de valeur où des producteurs Asprodeb fournissent des graines de qualité aux transformateurs (Atcl) qui fournissent à la Fnbs une farine de qualité avec une granulométrie fine. C’est pour cette raison que nous souhaitons la révision du décret – par exemple, ramener le taux de 20 à 15 %. Il est opportun que le concept du «consommer local» soit effectif au Sénégal parce qu’aujourd’hui, il y a une disponibilité en qualité et en quantité la farine du mil et du maïs. La seule contrainte aujourd’hui, c’est que le prix des farines de céréales est plus onéreux que le prix de la farine de blé. Ceci nous a amené à toujours demander à l’Etat d’annuler la TVA sur les farines transformées.
Nous exhortons tous les boulangers du Sénégal à incorporer les pains à base de céréales locales dans leur production journalière. Ce qui pourrait faire une plus-value de plus 7 milliards CFA pour les producteurs du pays. Mais à dire vrai, c’est à l’Etat de faire la promotion de la consommation du pain à base céréales locales et non aux boulangers. Le Sénégal doit suivre l’exemple de la Côte d’Ivoire qui a pu octroyer aux boulangers un temps d’antennes tous les deux dimanches dans les médias publics pour promouvoir la consommation locale. Si le président Macky Sall l’instaure dans notre pays, cela va permettre aux Sénégalais de manger du pain à base de céréales locales qui est nutritionnel et cela aura un impact économique. Le patriotisme économique doit toujours prévaloir pour l’émergence du Sénégal.»
«Les vertus du pain à base de céréales locales»
«Le pain à base de céréales locales est quatre fois meilleur que le pain à base de farine de blé que nous consommons. Sur le plan digestif, il régule le flux intestinal. Il comporte beaucoup plus de protéines, de fibres, et combat la constipation tout en régulant le système cardio-vasculaire. Alors que le pain à base de blé tel que certains boulangers le font n’est pas du tout nutritionnel. Le pain à base céréales locales est de bonne qualité sur la santé des consommateurs, les nutritionnistes peuvent en témoigner. Pour la FNBS, l’incorporation des céréales dans la panification est une réalité. Certes, c’est un long chemin, mais nous y croyons.»
200 milliards de chiffres d’affaire par an
«Nous générons plus de 30.000, emplois directs et plus de 200 milliards de chiffres d’affaires chaque année. Imaginons si ce secteur est réorganisé avec l’application du décret 102-2004, il est incompréhensible aujourd’hui que le consommateur puisse acheter son pain dans des conditions déplorables. C’est la santé des populations qu’il faut préserver, vendre du pain dans des boutiques, vendre du pain partout, ce n’est pas sérieux. Il faut quand même veiller à la santé des populations en appliquant ce décret qui règle tout sur notre secteur : de la distribution aux conditions d’hygiène en passant par la qualité des boulangeries. Il faut aussi l’application de la loi 77-38 qui interdit la fabrication du pain de «Tapalapa» dans une agglomération de plus de 10.000 habitants.»
«Les conditions d’hygiène et de vente du pain décriées»
Beaucoup de boulangers ont mis en place un nouveau concept, un nouveau type de boulangerie. Ils mettent des boulangeries de quartier. Ils font du pain de très bonne qualité, ils ne le distribuent pas parce que si vous prenez votre pain pour le distribuer, vous ne savez pas où il est vendu, et ça détériore votre image de marque. L’Etat doit mettre de l’ordre dans tout cela. Il est temps que les revendeurs offrent des conditions d’hygiène acceptables aux consommateurs sénégalais et que les boulangers aussi respectent cela. L’état doit comprendre que le pain est un aliment énergétique, un allié de la santé. On dit que le pain est nutritionnel, mais s’il est fait de mauvaise qualité, il n’assure plus une bonne nutrition.»
«Evolution du concept de boulangerie»
«Nous avons beaucoup évolué. Nous sommes dans un projet de valorisation du projet de céréale locale du programme WAAPP2/FNRAA. Nous avons formé beaucoup de boulangers et nous sommes à la recherche de financement pour la création d’une école de formation en boulangerie ou d’un petit laboratoire au siège de la FNBS afin de continuer à former nos membres. Nous avons même signé des conventions avec des banques, des assurances afin d’améliorer le vécu de nos membres. Nous faisons venir également des experts belges, des français, des canadiens pour le renforcement de capacité dans tous les domaines. Mieux, nous avons remporté la coupe du monde de la Boulangerie zone Afrique Moyen-Orient en 2011. Et nous avions représenté dignement cette zone en 2012 et 2014 devant le gotha mondial.»
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